Christian Sanséau, peintre, et Martine Blanchard, mosaïste, qui se portent une estime mutuelle et réciproque, tant sur le plan personnel qu’artistique, ont déjà exposé à plusieurs reprises. Mais il leur tardait de s’attaquer à un projet commun. Cette opportunité leur a été offerte par le service culturel de la ville d’Auray, qui leur a laissé carte blanche pour occuper l’espace exceptionnel de la Chapelle de Saint-Esprit. S’inspirant de la vocation originelle du lieu, c’est-à-dire celle de l’ordre hospitalier de Saint-Esprit auquel on attribue la construction de l’édifice, et de l’hôpital attenant (aujourd’hui disparu), les deux artistes ont développé deux thématiques entrecroisées et complémentaires, autour du thème de la « souffrance ». Christian Sanséau s’est laissé porter par « l’universalité et l’intemporalité de la souffrance des peuples ». Nombre de ses toiles, dont certaines de très grand format, évoquent les migrations causées par la faim, la misère ou la guerre, et la recherche de conditions de vie supposées meilleures ailleurs, dans les pays dits riches et en paix. Les « boat-people » en sont un exemple tragique parmi des milliers d’autres, depuis les albanais débarquant en masse à Brandisi, jusqu’aux africains embarquant en clandestins dans les soutes des cargos ou des avions de ligne, au péril de leur vie. Il y a donc la souffrance originelle, puis le déchirement du départ, les affres du voyage et ses nombreux périls, et très souvent, lorsque les survivants parviennent à la « terre promise », une amère déception : « Ils quittent une jungle naturelle qu’ils connaissent, pour une jungle urbaine sans pitié, dont ils doivent très vite apprendre toutes les règles ». Mais cette souffrance subie puis consentie par instinct de survie leur donne une énergie extraordinaire, l’énergie de l’espoir et non du désespoir, « qui les rend capables d’exploits et de résistance physique tels que les performances sportives officielles font sourire en regard ».
Martine Blanchard s’est plutôt laissée guider par les valeurs d’accueil
et de service, exaltées par le dévouement des frères et des sœurs du
Saint-Esprit : soins aux malades et aux infirmes, nourriture aux
pauvres, accueil des orphelins et des nourrissons abandonnés,
hébergement temporaire des voyageurs, tous ces hôtes étant les «
seigneurs » dont les religieux, par abnégation, se faisaient les «
serviteurs ». Comme le rappelle Louis Massé dans sa « Contribution à
l’histoire de la Commanderie du Saint-Esprit », ils effectuaient même
des tournées en ville pour prendre en charge celles et ceux qui ne
pouvaient se déplacer : « Un véritable Samu social avant l’heure ». |
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Un symbole universel et « organique » exprime à la fois la souffrance et le don de soi : le cœur. Il peut être « déchiré » pour toutes sortes de raisons, mais ont peut aussi « l’ouvrir » aux autres, et certains l’auraient même naturellement « sur la main » ! C’est pourquoi une première série de mosaïques décline cette thématique «cordiale », où l’on peut discerner au choix la déchirure de l’attente ou l’ouverture du renoncement. Une autre série de tableaux rectangulaires au format identique, explore d’autres variations sur ce thème de la brèche, de la déchirure, avec parfois des références discrètes au fond religieux où s’enracinait le dévouement des hospitaliers. Mais l’occupation du lieu, durant trois mois, ne s’arrête pas à la simple juxtaposition de peintures et de mosaïques, fussent-elles chargées de sens (une rotation sera d’ailleurs effectuée au cours de l’été, et certaines œuvres seront exécutées sur place). L’expression « en souffrance » suggère aussi une notion de non-achèvement (affaires en souffrance), ou d’attente de départ (bagages en souffrance dans une gare ou un aéroport). « En ce sens, la chapelle, dont la restauration est loin d’être achevée, est elle-même un ancien lieu de transit, aujourd’hui en souffrance. Nous avons eu envie d’exploiter ce double aspect de « voyage » et de « pas fini » : un lieu en ruines qui cherche sa voie, à l’image de notre société où chacun est un peu à la dérive. Ainsi, des silhouettes d’acier forgé (avec la complicité du ferronnier d’art Jean Guillevic) sont campées sur l’espace de déambulation, des bancs et des tables (créés pour l’occasion) sont disposés, où chacun pourra s‘asseoir ou s’accouder « pour tout le temps qui lui plaira ». L’installation est complétée par des décorations murales, de grands rideaux colorés pour pallier l’absence de vitraux dans les grandes baies à ogives, une étude sophistiquée des éclairages, une ambiance sonore… : dans cet environnement, chaque visiteur est à même de s’interroger à son tour sur son « être en souffrance ». Loïc Blanchard |